Paquet de clopes ou pas paquet de clopes, telle est la question...

[A qui veut.]

Juvraniel s'ennuyait... Affreusement. A n'en pas douter, personne ne pouvait comprendre le pourquoi de cet ennui, encore moins le lourdaud qui traînait à ses côtés. Non pas que son client fut moche, loin de là, mais il était plutôt d'un ennui profond, avec pour seules idées ces choses qui révulsait le Vampire. Rien qu'à l'idée, cela l'agaçait... En fait, il n'avait qu'une envie, être avec son Faye et oublier que le Moustique avait fait son retour.

Grognement de mécontentement. Bon sang, qu'est-ce que Faye pouvait bien lui trouver ? Bon, d'accord, il n'était pas trop moche, mais il était trop grand, trop passe-partout à première vue. Rien de bien neuf, de bien changeant; Non, toujours aussi plat physiquement. Quant à son caractère, il était invivable et insupportable. Il ne l'avait pas croisé souvent, mais suffisamment pour qu'il ne l'aime pas. En même temps, il n'avait rien pour lui.
Premièrement, il aimait Faye. La, il commençait dans le bas de l'échelle des gens potables. Ensuite, il était trop présent, trop souvent là et trop collé à Faye. Et dernièrement, il voulait trop souvent Faye rien que pour lui, et là, ça bloquait complètement. Car Faye ne pouvait pas lui appartenir. Pas à cet humain insignifiant et stupide ! Cela ne lui allait pas. Faye était le sien !!! Depuis qu'ils étaient ensemble, c'était devenu son Faye ! Pas question qu'il partage, et surtout pas avec ce Moustique !

Sans un regard pour l'homme dont il était sensé s'occuper, le ronchon s'enfonça encore plus dans son fauteuil. Il détestait ce Moustique. Il n'avait qu'une envie, l'envoyer rejoindre ses confrères dans le cimetière à moustiques, mais si Faye apprenait cela, il pourrait être triste et là, ça gênait. Et sûrement pas question que Moustique devienne un des leurs ! Supporter Moustique pour l'éternité n'était pas envisageable et si jamais l'autre Vampire osait le faire, il ne resterait pas. Parce que devoir voir Moustique pendu au coup de Faye était trop dur pour Juvra. Et supporter ce spectacle pour l'éternité ne le branchait pas du tout. C'était ce qui le faisait sortir si peu. De toute façon, il n'aimait pas la vie ici. Il n'y aurait pas eu son créateur, Juju ne serait pas resté. Devoir supporter qu'un autre le touche, et qu'il doit supporter toucher un autre ne lui plaisait pas. On aurait pu penser qu'après 20 ans de ce labeur, il s'y était habitué, mais toujours pas.

« Embrasse-moi ! » s'exclama l'autre, l'humain qui se tenait maintenant avachi sur le fauteuil d'en face. Avec une moue ressemblant plus à de l'écoeurement qu'autre chose, le plus âgé lâcha un simple « Pas question », sans adresser le moindre regard à son client. Il ne le voulait pas. Il n'était pas assez roux, il n'était pas assez grand. Il ne lui plaisait pas.
Entendant plus qu'écoutant les commentaires désobligeant que faisait son interlocuteur, le plus jeune d'apparence se leva, avant d'aller vers la fenêtre, tout en s'allumant une cigarette.
La nuit était tombée depuis quelques dizaines de minutes, tout au plus une demi-heure. Il faisait sombre, mais pas suffisamment assez pour que la nuit soit trop noire. Un temps à promenade. Il avait envie de voir Faye, rien que quelques heures, juste être avec lui, sans problème, souci ou autre tracas. Etre simplement avec lui, se promener un peu, puis rester dans ses bras, sans penser à rien d'autre, sans penser que d'autres y venaient aussi. Qu'il était un, parmi tant d'autres.

Perdu dans ses pensées, il n'avait pas fait gaffe à l'humain, qui venait de se placer, doucement dans son dos, l'enlaçant de trop près, lui donnant cette sensation d'étouffer. Il sentait les baiser papillons dans son cou, ça l'ennuyait, il avait envie de le repousser, comme tous les autres. Mais son regard azuré ne fit que de se poser sur la cigarette à peine entamée.

« Tu veux qu'on sorte ? »
Le vampire ne fit que hausser les épaules à la proposition. Les sorties nocturnes, c'était bien, qu'avec Faye. Pas les autres. Ils étaient fades, les autres... Se laissant entraîner au dehors de la pièce, cigarette en main, le Vampire suivait l'autre humain, qui le menait où il avait envie. Il avait volontairement choisi la boite de nuit. Il y avait peu de monde au vue de l'heure, mais il s'en fichait bien, la seule chose qui l'intéressait, était cet hôte bizarre. Il avait vu mieux, mais n'avait pas choisi de se fier au rumeur quand à ce jeune adulte au caractère immonde. Peut-être aurait-il du. Et puis, en boite, il trouverait peut-être un autre mieux. Idée à creuser...

Délaissant son mégot de cigarette à peine entamé dans un cendrier, le Vampire le suivit, sans rechigner. Il fallait juste prier pour que Moustique et Faïfaï n'y soient pas déjà ensemble... Sinon, il était bon pour finir la soirée dehors, avec pour seule compagnie un paquet de cigarettes. Outre son créateur, c'était la seule chose de fréquentable.

Et comme le hasard fait toujours bien les choses –enfin presque-, Faye était à la discothèque ce soir. Mais seul, sans Lyse. Ce que Juvraniel ignorait sans doute, c’était que Lyse n’était pas là ce soir. Peut être pas là pour beaucoup de soir, Faye ne savait que rarement en avance s’il venait. Et il n’avait pas d’autres clients pour cette nuit. Bien qu’il soit fondateur de Maldaurore et, disons le, plutôt apprécié des clients, vu qu’il participait souvent à la « distribution des clients », il s’arrangeait des emplois du temps correct avec des trous. Et pendant ces trous, il ne se reposait pas. Pas comme la plupart des vampires. Non, lui, il continuait à faire la fête.

Il ne se sentait pas vraiment seul. De toute façon, au Tupperware, il connaissait déjà tous les serveurs, pâles aux longues dents comme de bien entendu. Et bien souvent il arrivait à détourner des clients de leurs propres hôtes, volontairement. Faye ne s’entendait pas avec une grande majorité des hôtes de Maldaurore, pour diverses raisons tenant entre autre à son comportement trop désinvolte. Et ce dernier élément ne faisait que l’encourager à aller leur ravir leur client, ne serait-ce que pour voir leurs mines frustrées.

En attendant, le rouquin trônait sur le bord gauche du comptoir, c'est-à-dire à l’opposé de l’entrée du bar. Il balançait ses jambes dans le vide au rythme de la musique, un cocktail rougeoyant en main, son regard balayant la salle sans doute à la recherche d’une attraction, comme d’habitude. Il écoutait d’une oreille distraite le barman qui faisait des commentaires sur à peu près tout le monde. Faye n’en faisait pas, et surtout pas sur le look de tous ceux qui se trémoussaient devant lui, car en matière d’allure, il avait surement la palme de l’excentricité. Voir du mauvais gout, parfois. En l’occurrence il avait un short assez court rouge, en vinyl ou imitation vinyl, dur à dire, et un genre de dos-nu noir, et ses cheveux rouges feu étaient, comme souvent, lachés sur ses épaules.
Faye avait ce grand avantage d’avoir un corps sur lequel tout passe. Mais il n’avait aucun mérite, il ne pratiquait que rarement du sport. En fait il avait juste de la chance. La chance d’être mort mince, et une fois qu’un humain devient vampire, sa condition physique reste la même. Le rouquin pouvait mangeait ce qu’il voulait, il ne grossirait pas. Mais de toute façon, il ne mangeait pas, comme la plupart des vampires d'ailleurs.

Il se perdait petit à petit dans la musique, sous l’effet de l’alcool présent dans le cocktail, et en oubliait complètement l’autre gugus. Jusqu’à ce que, finalement, un autre serveur ne s’approche de lui, colle ses lèvres à son oreille, pour venir y chuchoter quelque chose, auquel Faye répondit par un petit hochement de tête et un très léger et à peine visible froncement de sourcil.

Alors comme ça Juju arrivait. Ou était arrivé, il n'avait pas bien compris. Il allongea le cou, jetant un coup d’œil du côté de la porte, mais entre temps la boite s’était un peu remplie, et il ne distinguait pas grand monde, pas même la chevelure violine du jeune homme qui ne passait pourtant pas vraiment inapperçu.
Adoptant une mine renfrognée, il reposa le cocktail sur le comptoir et ordonna au barman de lui en servir un plus fort.

Oui, la bonne humeur de Faye venait de tourner court. Il ne fallait pas croire que Juvra était le seul jaloux dans le lot. Le rouquin l’était tout autant, voir plus, sauf que SA jalousie était pire que déplacée. C’était de l’égoïsme, pur et dur. D’ailleurs, son petit protégé, ou ex petit-protégé, selon, le lui disait souvent, qu’il était égoïste. C’était dur de le démentir. Faye ne supportait pas de voir Juju avec un client, sauf que c’était lui qui l’avait obligé, pour ainsi dire, à devenir hôte. Il aurait pu le mettre à l’accueil, dans un restau, ou n’importe où, mais non, il l’avait mis hôte, comme s’il pensait que le fait qu’ils partagent le même poste allaient les rapprocher. Inutile de dire que ce ne fut, de loin, pas le cas… Ca avait même déclenché de nombreuses crises, de nombreuses disputes, et des tensions dont l'un comme l'autre n'avait pas besoin.
Et surtout, il jalousait les clients alors qu’à côté de lui, Juvra était une vraie sainte-nitouche avec ceux qui le demandaient. L’aveugle qui se fout du borgne en somme. Après il s’étonnait encore quand Juvra refusait de le voir ou l’incendiait…

Quoiqu’il en soit, une idée traversa l’esprit de Faye : puisqu’il cherchait un client à « piquer », et s’il piquait celui de Juvra ? Bon, ça ne réglait pas tout à fait le problème, puisqu’après il se retrouverait avec cet homme là et non Juju, mais au moins, il les aurait séparé, et c’était son but premier. Pas sur que le cadet apprécie réellement ce geste de son créateur, mais bon, ça ne serait pas la première fois que Faye le froissait pour son intéret personnel, et sans doute pas la dernière lorsqu'on le connaissait...

Mais encore fallait-il les trouver, pour cela, naturellement. Il commença par s’écraser en arrière sur le comptoir pour se mettre au niveau du barman et lui commander deux autres cocktails.
Les deux cocktails prets, il s’en saisit, ainsi que du sien, et partit à la recherche de ses deux cibles.

Ne connaissant naturellement pas la tête du client, et s’en fichant relativement d’ailleurs, c’est à la recherche de la chevelure violine qu’il partit. Il avait cette chance d’avoir la vision très développée, en bon vampire. Pourtant, il ne le voyait pas, se demandant s’il était déjà arrivé, ou déjà reparti –le connaissant, ça ne serait même pas étonnant- ou bien s’il était dehors, s’il était aux WC, s’il se planquait quelque part, BREF, les possibilités étaient multiples, et il ne le trouvait pas, enfin ne LES trouvait pas, pour s’incruster en leur collant bien gentiment les deux cocktails, l’un à base de sang, l’autre de divers fruits et alcools, dans leurs mains.

A la place, il resta pantois, trois verres à peine en équilibres dans ses mains, à l'aguet d'un reflet violacé qui pourrait attiré son attention.

Le rouquin resta planté un certain temps avec ses trois verres en équilibre précaire entre ses mains aux fins doigts blancs. Il se fit bousculer quelques fois, par une bande d’empotés, bénissant son adresse vampirique de ne pas l’avoir fait tout renverser. Certains s’essayèrent à la drague sur lui, il se contenta de leur adresser un sourire aguicheur puis de les ignorer. En temps normal, peut être se serait-il laissé prendre au jeu, mais là, il avait un autre objectif en tête.

L’objectif en question était en fait assis un peu plus loin, sur les genoux d’un homme qui semblait prendre grand plaisir à explorer le cou du vampire –un comble…
Faye ne le vit pas desuite. Il arrivait à localiser avec une facilité déconcertante les humains, mais les vampires, non. Ces créatures étaient, par essence, discrètes, et faites pour se dissimuler. Alors cheveux violacés ou non, le rouquin peinait à retrouver son petit protégé.

Néanmoins, la boîte n’étant pas très grande, le regard de Faye finit fatalement par tomber sur sa cible, et un sourire de contentement s’installa sur ses lèvres jusque là étirées en une moue déçue. Sourire qui eut une vie plutôt courte, car rapidement le jeune homme distingua l’autre partie du tableau, la partie moins plaisante, le client, en somme. Il avait capturé SON Juvraniel dans une légère étreinte, le maintenant sur ses genoux tandis qu’il s’affairait dans sa nuque. Cette vision tira une petite grimace à Faye qui de toute évidence n’appréciait pas vraiment le spectacle. Le seul élément qui aurait pu le réconforter était le visage déconfit, dérangé, du jeune homme. Sauf qu’en l’occurrence, de là où il était, il ne pouvait distinguer que ses cheveux. Et le client. Ce dont il se serait allègrement passé d’ailleurs.

Il resta encore un instant à les observer, comme s’il n’osait pas s’approcher. En fait, il cherchait juste une technique d’approche crédible et correcte. Et en même temps, ça lui permettait d’observer à sa guise Juvraniel. Il faut dire que ces derniers temps, lorsqu’ils se voyaient, il n’avait pas tellement l’occasion de laisser son regard se perdre sur lui, étant trop occupé à…s’engueuler. Les vieux fantômes ressurgissaient, de vieilles questions sans réponses pointaient leur nez. Il était clair que leur relation oscillerait entre tendresse, amour, haine et colère tant qu’ils refuseraient l’un comme l’autre de mettre certaines choses au clair. Et comme les deux étaient aussi têtus que des mules, ca n’était pas gagné d’avance.

Au bout d’un certain temps, il se décida pourtant à y aller. De un, parce qu’il valait mieux qu’il se manifestât tant qu’ils étaient encore assis, de deux, parce qu’il valait mieux qu’il se manifestât avant que le client ne se décide à explorer le gosier de Juvraniel. S’il voulait briser le charme –qu’il n’y avait pas- autant le faire dés le début. Il ignorait encore en quoi consisterait sa tactique, et si oui ou non il allait tenter de détourner l’attention du client. Une fois qu’il aurait un peu d’alcool dans le sang, ça ne serait surement pas bien difficile. Les humains sont si manipulables. Surtout ceux qui fréquentent Maldaurore, en vérité.

Bien décidé à passer à l’action, Faye se dirigea vers la table que le « couple » avait monopolisée, se faufilant entre les corps qui se trémoussaient sur la piste de danse, ondulant légèrement comme il en avait l’habitude pour faire du charme. Il arriva enfin à hauteur de la table, et s’y arrêta, se plantant devant eux en un léger contraposto, laissant un sourire enjôleur prendre possession de ses lèvres tandis que son regard qui se voulait envoutant glissa sur les deux hommes.
Bien conscient que sa présence pouvait potentiellement déranger le client, notamment dans son entreprise de bizouillage, il ne se gêna pourtant pas pour aller s’asseoir sur le bord de la table, juste en face de Juvraniel et, par voie de conséquence, de l’homme sur lequel il était assis.

« Que vois-je ? Deux charmantes personnes avec les mains vides ! Mais il faut de toute urgence arranger ceci »

déclara-t-il de son habituel ton chantonnant. Mains vides…C’était vite dit naturellement, le client n’avait pas les mains vides du tout, puisqu’il tenait Juvraniel, et c’était bien ce qui dérangeait Faye. Il préférait lui occuper les mains –et par la même, la bouche- avec autre chose dans la mesure du possible. Sans tergiverser plus longtemps, il tendit à l’homme le cocktail qui lui était destiné, sans réellement lui laisser le choix de le prendre ou non. Il fit de même avec Juju, lui tendant le cocktail à base de sang, avant de se saisir de son propre verre, le levant vers eux.

« Je lève mon verre à Maldaurore, et à ses soirées »

déclara-t-il, n’abandonnant pas un instant son air séducteur et sa voix charmeuse.
Il accompagna sa phrase d’un léger clin d’œil, avant de boire une gorgée de son mélange.
Il marqua une courte pause, laissant aux deux énergumènes le temps de se remettre de son intervention subite dans leur moment d’intimité –enfin presque-, mais aussi de gouter les boissons qu’il leur avait affablement amenées.
Il posa ses yeux suborneurs sur sa cible principale, à savoir le client, bien décidé à mettre son plan en œuvre. Oui, Faye était un gêneur, un vrai.
Mine de rien, il vint coller son pied au niveau de la cheville de l’homme, et commença à lentement remonter tout en se frottant le long de son mollet, ne se privant pas de le fixer dans les yeux avec un air lovelace.
Il esperait soit le détourner de Juvraniel, soit l’embarrasser voir l’incommoder, histoire de le voir débarrasser le plancher.

Dans sa manœuvre, il avait cette chance : la plupart des gens fréquentant Maldaurore étaient plutôt…facile à berner, puisqu’ils réfléchissaient trop souvent plus avec leur entrejambe qu’avec leur cerveau. Restaient après tous les asociaux, les grognons, et tutti quanti. Mais heureusement –ou malheureusement- il ne semblait pas de cette trempe là. De toute façon, advienne que pourra. Faye espérait juste que, s’il s’agaçait de sa présence, il ne décide pas de déguerpir en embarquant avec lui SON Juvraniel.

Et là, quel serait le plan de secours ? Le suivre et le vider de son sang ? Un peu trop radical pour notre rouquin. Pour l’instant, il n’en était pas là. Le mieux serait de réussir à l’occuper le temps qu’il ingurgite quelques verres. Après, avec un peu de chance, il jouerait les loques sur les canapés de la discothèque.
L’autre problème qui risquait de surgir, et que Faye ne pouvait absolument ni prévoir, ni maitriser, c’était la réaction de son petit protégé. En un sens, c’était surtout cela que le roux craignait. Il faut dire que son Infant était…très imprévisible. Trop. Et selon son humeur, Faye pouvait tout aussi bien obtenir son soutient qu’une bonne claque dans la figure. Les risques du métier, si l’on puit dire.

« Alors, vous passez une bonne soirée ? »

demanda-t-il ensuite, laissant son regard aussi roux que ses cheveux courir de Juvra au client et du client à Juvra.

« ..ou peut être voulez-vous la pimenter un peu ? »

Pour un peu, il irait lui proposer un plan à 3. Méthode offensive et directe, comme toujours, avec le rouquin bien que, pour une fois, il n’avait aucune suite dans les idées. Enfin, plus précisément, il n’avait aucune suite dans les idées concernant le bonhomme qui accompagnait Juvraniel. Si ce n’est s’en débarrasser. Parfois, Faye exagérait avec sa jalousie maladive. Lui, lorsqu’il était un client, Juvra ne venait jamais mettre sans dessus dessous leur rendez-vous. Il n’y avait que le rouquin pour mettre au point ce genre de combine. Le pire, c’est que ça n’était pas le première fois qu’il le faisait…

Les oreilles affutées de Faye ne loupèrent pas le soupir qu’avait laissé échapper Juvraniel à son arrivée. En même temps, il ne fallait pas une ouïe exceptionnelle pour le percevoir, le jeune homme n’ayant pas le moins du monde cherché à faire dans la discrétion…
Il ignora volontairement et fit comme si de rien n’était. Ca n’était pas non plus comme s’il s’attendait à ce que son petit protégé lui saute au cou de joie. Depuis le temps qu’il ne faisait plus ça… Grimace et soupir, tout pour lui faire comprendre qu’il était tout sauf le bienvenue. En temps normal, Faye s’en fichait. La réaction était la même chez tous les vampires, nul n’aimait se faire voler sa proie, encore moins par le rouquin. Mais il se trouvait que, justement, Juvraniel n’était PAS n’importe quel vampire. Il aurait mieux valut, ç’aurait été plus simple.

Le rouquin sentait bien la tension qui régnait là, à cause de lui. Il avait la vague impression que Juvraniel était à deux doigts de lui exploser à la figure, comme une bombe à retadement qui aurait été trop retardé justement. Mais il ne le faisait pas, sans doute par lassitude. Faye était lassant, oui. Lassant, fatigant, consternant, particulièrement lorsqu’il s’agissait de Juvraniel d’ailleurs. Le comble, la personne avec qui il était le plus insupportable était celle à qui il était le plus attaché, et donc la dernière qu’il aurait voulu voir déguerpir, même s’il faisait manifestement tout pour. C’était digne d’une tragédie grecque leur histoire.

Et cerise sur le gateau, Juju le prit en flagrant délit de faisage de pied à SON client. Mauvais point. Faye se giffla mentalement de son manque de discrétion, mais il n’eut pas à le faire physiquement, puisque Juvraniel s’était chargé de son cas en lui flanquant un bon coup dans le tibia. Faye laissa échapper un petit gémissement qui fut étouffé par la musique trop forte. Vampire ou non, les coups dans l’os, il les sentait bel et bien.
Il leva le regard vers le cadet des deux, se demandant ce qui lui passait par la tête, et il croisa ses yeux meurtriers. Regard qui s’accompagna d’une réplique cinglante qui lui coupa sur le champ la parlotte, lui qui semblait d’humeur si bavarde.

Heureusement pour lui, Faye était passé pro dans la simulation de bonne humeur et de « tout va bien ». Dans la simulation tout court, en fait… Son sourire semblait presque imprimé sur ses lèvres tant il était rare de ne pas le voir. C’était aussi une arme de séduction, sa bonne humeur, les gens qui fréquentent les clubs d’hôte y vont rarement pour trouver des têtes d’enterrement.

Quoiqu’il en soit, il n’avait pas la moindre raison d’être de bonne humeur. Pas la moindre. Il en aurait eu plus de pleurer. Sauf qu’il ne pleurait plus depuis très longtemps. Et il ne s’énervait plus non plus, ou presque plus. C’était en quelque sorte devenu une vraie statue, qui sait sourire, et voilà tout. Beaucoup de ses semblables le disaient vide d’émotions, en un sens ils n’avaient surement pas tort.

Faye évitait maintenant délibérément le regard de Juvraniel, car sentir ces yeux assassins lui faisaient mal au cœur, et aussi un petit peu à l’égo. A défaut, il fixait le client, dont il n’avait en vérité cure, mais ça lui donnait une bonne excuse pour ne pas avoir à observer son petit protégé.

En vérité, le rouquin perdait un peu pied. Il sentait bien que les choses dérapaient entre les deux vampires, mais plus il réagissait, et plus cela empirait. Trop maladroit, il aggravait la situation plutôt que de l’améliorer. Il était sans doute en train de le perdre, petit à petit. Si Juvraniel était humain, il l’aurait sans doute déjà perdu. Le fait qu’il soit vampire le retenait, ne serait-ce qu’un peu, auprès de lui.

Mais ce lien ne serait pas éternel, Faye s’en doutait. Viendrait un jour où, lassé du comportement égoiste, agaçant, et franchement insupportable de son ainé, Juju s’en irait. Il aurait raison, dans le fond.
En attendant, le roux s’accrochait comme un gamin aux jupons de sa mère, tout en sachant que plus il s’accrochait, plus la mère s’éloignait. Il ne parvenait pas à s’en empêcher.

En particulier quand il le voyait avec un autre homme. Pourtant, ça n’était pas comme s’il ignorait ce que serait la réaction de Juvraniel. Il avait déjà expérimenté la chose plusieurs fois, et si d’ordinnaire le jeune vampire taisait sa colère en la présence du client, il déversait toute sa fureur sur Faye après. Là, il avait opté pour une nouvelle formule : celle de lui sonner les cloches tout de suite.

Peut être était-ce ce léger détail qui déstabilisa plus que de normal Faye. Les colères de Juvra, il les connaissait, mais en toute honnêteté, il ne s’y attendait pas, il n’y était pas préparé. Il l’avait un peu pris de cours.
Il entendit à peine la réponse du client qui le défendait. Même s’il évitait soigneusement le regard de son protégé, il ne manqua pas le regard assassin lorsque Juvraniel se leva, visiblement bien décidé à partir.

Ca n’était pas bon. Pas bon du tout. Le client tenta de le retenir, mais il n’y parviendrait probablement pas vu l’état d’énervement du jeune homme. Ce fut au tour de Faye de soupirer de manière imperceptible. Il aurait dut s’en douter, que ca allait tourner ainsi, mais il ne l’avait pas fait. Son but, c’était que le client se fasse la malle, pas que Juju s’en aille.

Faye hésita un instant, avant de finalement se redresser. Il adressa un sourire rayonnant au client, comme il savait si bien les imiter en tel circonstance, et prit soin de fuir le regard de Juvraniel qu’il devinait accusateur.

« Excusez moi, je reviens dans un instant »

Mensonge, naturellement, il ne comptait pas revenir. Il ne supportait juste pas la tension ambiante qui lui donnait la nausée. Il contourna Juvraniel, évitant toujours de croiser ses yeux, et se dirigea vers le comptoir, où il commanda immédiatement un nouveau verre, ainsi que de quoi fumer. Faye ne fumait que du tabac parfumé, et toujours dans une espece de longue pipe. L’odeur fruitée le relaxait plus ou moins.

Une fois sa commande arrivée, il s’installa sur un des tabourets, s’empara du verre, et de la pipe. Il faisait volontairement dos au couple, ne voulant en aucun cas rencontrer le visage furieux de Juvraniel. Plus tard, un peu plus tard, il irait peut être lui parler. Quand il saurait quoi lui dire exactement. Quand il serait un peu pompette, suffisamment pour oser y retourner en tout cas. Pas dit que l’alcool faciliterait l’échange, les bourrés ont le don d’agacer. Mais là, pas question d’aller affronter sa fureur. Il était d’ailleurs très étonné que le garçon ne soit pas déjà à côté de lui pour lui en coller une dans la figure. Une fois de plus, il l’aurait mérité.