A Lonely Day... Again and Again.

[Premier Post. Libreuuh ^_^]

Les écuries de Maldaurore.
Un paradis équin où la paille du box est changé chaque jour, où l'avoine coule en juste proportion, où l'eau de l'abreuvoir est toujours propre et abondante. Où l'herbe du pré est grasse et délicieuse.
Et où chaque jour, chaque cheval vivant là reçoit tous les soins nécessaire à l'épanouissement d'un animal aussi noble.

Et pour cause.

Il y avait quelqu'un en particulier qui s'occupait sans faiblir de cette troupe d'une vingtaine de montures. Qu'il gèle, pleuve ou vente.

Lorsqu'on s'approche des box impeccables à la bonne odeur saine de cheval, de foin et de paille, on voit une silhouette gracieuse s'afférer autours.
D'abord, on pense qu'il s'agit d'un jeune noble qui monterait là. Peut-être pas un hôte... Car ce garçon n'est pas aussi magnifique que ceux-ci. Pourtant, vous ne pouvez vous détacher de cette silhouette dansante. Etrangement. Vous vous dites qu'il n'est pas spécialement beau, ce jeune homme. Mais qu'il a du charme.

Puis, à force d'observer, on découvre bien vite que ce n'est pas quelqu'un qui est là pour monter. Mais un palefrenier. Avouez que c'est troublant. Car le garçon en chemise crème et pantalon de lin semble plus fait pour les dîner mondain que pour la tâche ingrate et difficile de tenir aussi propre des écuries de cette taille. D'ailleurs, la nuit est tombée depuis longtemps. Vous devez certainement trouver cela étrange.

Ca ne l'est pas. Mais ce n'est pas à vous de le savoir.

L'histoire s'écrit ainsi, sous les yeux des autres qui ne feront qu'entrapercevoir une infime partie de l'être complexe qui selle une jeune jument agitée.


Shika soupira légèrement. Liane était d'humeur fantasque. Le printemps lui laissait deviner que la période des chaleurs n'aidait pas à calmer le gracile pur-sang arabe qui ne cessait de lever le nez pour humer l'air. Mais aussi pour empêcher Shika de lui passer son filet.
Et le palefrenier maudit le fait d'être de taille moyenne à défaut de petite.

Certes, il aurait pu avec sa force briser l'encolure délicate et racée mais ce n'était pas son genre. Il était un Vampire. Certes. Et aussi incroyable que cela paraisse. Mais il aimait infiniment les chevaux. Ce qui l'empêchait de faire la moindre griffure à ces animaux.

Aller... Liane... Jolie Liane... Soit une bonne fille...

La voix douce et peu masculine murmurait des mots tendres qu'un amant aurait adoré entendre. Cependant, le Vampire roucoulant vous aurait regardé d'un drôle d'air si vous lui aviez demandé de vous roucouler ce genre de choses.

Les grand yeux noirs - et indubitablement ce qu'il y avait de plus beau chez Shika - suppliait la jument d'obtempérer. Ce qui finit par payer car il put, d'un geste adroit qui trahissait sa maîtrise parfaite de l'équitation, passer la dernière pièce de harnachement. Bouclant toutes les lanières de cuir avec un soin maniaque, le Vampire finit par tirer l'animal hors du box, le talon de ses bottes d'équitation d'un noir lustré admirable frappant régulièrement la dalle menant à la carrière.

Tout en menant Liane, le palefrenier enfila ses gants blancs, renforçant son air aristocratique. Il portait également un pantalon noir et une chemise crème fermée jusqu'au dernier bouton malgré la chaleur printanière qui ne semblait absolument pas l'incommoder malgré le fait que nous étions une nuit de mai. Ses joues, d’une pâleur surnaturelle, étaient à peine teintées d’un vermeil discret trahissant la réalité. IL avait mordu un Humain, plus tôt dans la nuit. Mais pas un de Maldaurore. Car il savait qu’il n’était pas Hôte. Ses congénères Vampires lui inspiraient un mélange de dégoût et de méfiance. Il ne se mêlait jamais à eux car il était bien trop solitaire. Un marginal amoureux de ses chevaux.



C'était comme une danse. Entre l'animal si gracieux et l'homme sur son dos. Ce vampire aux allures de jeune éphèbe, plus féminin que vraiment masculin.

Les cheveux longs attachés en une queue de cheval stricte s'échappèrent de cette coiffure pour passer devant les deux puits noirs. Le galop léger du pur-sang propulsait le sable. Le mêlant à cette danse nocturne.

La concentration du cavalier. En symbiose parfaite avec l'animal.

Les très légers mouvements du corps qui suffisaient à déterminer la longueur d'une foulée ou l'inclinaison d'une encolure alezane qui commençait à se piqueter de sueur, douce écume blanchâtre. Ecume de mer sur la crête d’une vague.

L'envol presque roux de la crinière et de la queue en panache qui suivait le rythme de la chevelure entre châtain et blond.

L'harmonie. Tel était le pouvoir de Shika.

Plus que la séduction. Plus que la chasse. Plus que la force.
Il était simplement parfait dans cette fusion de deux âmes. Le Vampire et l'Animal tendus dans un même élan silencieux. Inspirés par un même désir de Beauté et de Perfection. Ils n’étaient plus un Vampire et un Cheval mais un Centaure, mythique créature hybride symbolisant la plus parfaite des associations.

Seul le sable léger de la carrière assourdissait le bruit mat des sabots. La lumière venait d’un simple lampadaire en fonte, tourné à l’ancienne, qui donnait à la scène son irréalité intemporelle. Un parfum poudré de noblesse et de hauts faits. Lorsque le cheval et l’homme étaient ce que l’index est au majeur.

Et rien ne semblait assez digne pour troubler cette quiétude parfaite.

[Et voilà qu'le coureur de caleçons s'ramène... Justement parce-qu'il n'a aucune chance avec ton perso ! Premier post, première incruste ^_^]

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Après ces heures gluantes de voyage, l'homme parvenait enfin aux portes du lieu que les rumeurs nommaient "paradis". Le chauffeur de taxi venait de repartir en enfournant une liasse de billets dans sa poche, laissant le grand brun marcher péniblement les quelques mètres restant.

Il s'arrêta devant le vaste portail en métal dentelé derrière lequel se dressaient les immenses domaines de Maldaurore. La nuit estivale répandait ses bouffées tièdes sur les lieux calmes ; Lyse Oriann prit une profonde inspiration, ravi. Cette odeur suave... oui, elle lui prouvait qu'il revenait bien dans ce qu'il considérait comme son chez-lui. Enfin, après ces ennuyeuses affaires qui avaient prit plus de temps que prévu, il pouvait retrouver l'élégance de Maldaurore au coeur de laquelle vivait la personne si importante pour lui... Rien qu'à cette délectable pensée, sa poitrine lança des échos rapides.

Il se sentait étrangement renaître en pénétrant dans ces rues silencieuses, en traversant ce village qui pourrait paraître mort, si on y réfléchissait bien. Mais Lyse ne parvenait à associer les plaisirs vitaux qu'il dénichait ici à des thèmes morbides. Cela n'avait absolument rien à voir !

D'un pas sûr et pressé, il s'engagea dans la rue Aurore, sifflotant un air joyeux. D'habitude, il surprenait Faye dans le parc, et se jetait sauvagement sur lui, au milieu des taillis secs qui les éraflaient légèrement. Et ce soir, son cher hôte avait-il anticipé sa venue ou bien se trouvait-il occupé à satisfaire d'autres clients que lui ? Une idée pareille renfrogna un peu notre Lyse, qui préféra ne pas rejoindre tout de suite l'hôtel et bifurquer près du lac.

Il avança longuement parmi les ombres éclatées des buissons sur la surface scintillante des eaux tranquilles, animées simplement par le reflet de la lune. Ses chaussures raclaient le chemin, faisant fuir quelques grenouilles et rats.

Faye m'a toujours dit de ne pas me promener seul ici... En fait, il veut juste que je ne me promène qu'avec lui, c'est tout... Serait-il jaloux ?

Lyse lâcha un petit rire étouffé.

Tsss, eh bien tant pis, il n'a qu'à me rejoindre s'il ne veut pas que je soit seul... D'habitude, il a l'air de toujours savoir quand j'arrive, même si je ne le préviens pas... Alors ce soir, on verra bien.

Il s'étonnait de ce sens incroyable de Faye à le retrouver où qu'il se trouve. Lui ne pouvait pas en faire autant, à son grand regret.

Alors que Lyse écoutait le bruissement du vent dans les feuillages et le clapotis de l'eau, il perçut un hennissement plutôt brusque qui le fit sursauter légèrement. Il se souvint alors que Malaudore possédait également une écurie.

Ils sont vraiment bien équipés...

Intrigué, il s'approcha. Il n'allait pas souvent dans les écuries, car il préférait la compagnie des humains à celle des animaux, mais comme ce soir il n'avait rien de particulier à faire, à part attendre que Faye lui tombe dessus avec moult câlins... À cette agréable perspective, il se montrait prêt à attendre n'importe où dans Maldaurore !

Entrant dans la cour des Ecuries, l'humain demeura subjugué par l'étonnement et l'admiration. Un magnifique jeune homme aux traits fins, au port altier et au visage empli d'une profonde douceur se tenait juché sur un cheval brillant au clair de lune. Ses longs cheveux noués tressaillaient aux mouvements de l'animal, leurs deux corps semblaient parfaitement s'accorder dans une émouvante chorégraphie, un dialogue mystérieux.

L'humain se contenta de rester immobile, comme par crainte de briser la beauté du spectacle s'il manifestait sa présence. Il étudia le visage du jeune homme et fut certain de ne l'avoir jamais rencontré, lui qui avait pourtant été le client d'un grand nombre d'hôtes.

À cet instant, Lyse oublia complètement où et à quelle heure il se trouvait, mettant de côté les avertissements de Faye dont il ne pouvait, évidemment, pas saisir le sens exact.

[Ca fait pas plaisir à Shi' mais moi je suis très honorée de ta visite XP]


Volte. Serpentine de trois boucles. Galop ramassé. Déplacement latéral.
De la plus compliquée à la plus simple des figures de dressage, Shika les maîtrisait avec une aisance née d'une très grande habitude. Cela faisait soixante-dix huit ans qu'il était au milieu des chevaux. Soixante-dix qu'il montait vraiment.
Mais son apparence éternelle de garçon de vingt ans à peine - il avait toujours eut l'air un peu plus jeune que son âge de mort - il semblait simplement être un garçon exceptionnellement doué.

Le charme des Vampires était cependant une chose dont se moquait éperdument le cavalier. Il n'avait pas conscience qu'il aurait paru beau à des yeux extérieurs. Il se moquait de cela. Il n'était beau qu'une fois à cheval. Le reste du temps, il était quelconque, même si sa nature lui donnait un charme suffisant pour que les Humains se jettent dans ses bras en souriant lorsqu'il décidait qu'il avait faim.

Shika ne perçut pas l'approche furtive de Lyse. Il était concentré sur sa jument et le sable de la carrière qu'elle foulait avec une grâce née de son sang du désert. L'œil noir et expert s'employait à corriger la posture, à inviter sa monture à faire ce qu'il attendait plutôt que de la contraindre à le faire. Il aimait bien Liane, c'était une bonne petite jument.

Pourtant, la plupart des cavaliers occasionnels de Maldaurore ne pouvaient pas la sentir. Elle était fantasque, mordeuse et assez maligne pour désarçonner bien des cavaliers téméraires. Elle avait d'ailleurs essayé avec Shika, dans le temps. Mais elle avait vite compris que ce cavalier là ne se laisserait pas démonter par ses oreilles couchées en arrière et ses dents qui claquaient dangereusement proche d'un bras ou d'une main.

A vrai dire, Shika l'aimait bien pour cette raison là : elle n'aimait pas les autres êtres vivants non équins. Et cela, il pouvait parfaitement le comprendre.

Un dernier tour de galop. Un au trot et puis une longue détente au pas. Shika se redressa, lâchant les reines sans aucune crainte pour resserrer sa queue de cheval et chasser les agaçantes mèches cendrées de devant son regard.
Sa main fine et gantée vint flatter l'encolure tendue vers l'avant et il murmura :

C'est bien ma toute belle. Bonne fille. Hein ? Tu es une jolie jument. Oui, une très belle fille.

Les oreilles équines pivotaient vers la voix familière et Liane finit par s'arrêter, mouillée d'une écume de sueur sur sa robe assombrie par la nuit qui se couvrait de reflets fauve à la lueur blanchâtre des lampes de l'écurie.

Agile, Shika sauta à terre et fit claquer sa langue, sans même tenir l'animal qui suivit son pas, les rênes se balançant doucement.

A vrai dire, le palefrenier n'avait absolument pas remarqué son visiteur du soir. Il était perdu comme à son habitude dans son propre monde. Et puis, la plupart des clients de Maldaurore ne venaient l'ennuyer qu'en journée. Et que ça voulait monter ci et ça... Et aller se balader... Tsss.

Shika n'avait pas en haute estime ces cavaliers du dimanche, Vampires compris. Il voyait chaque défaut dans une posture, chaque erreur de jugement dans leur relation avec les chevaux. Bref. Il jugeait pour sa part que ses chéris se porteraient mieux s'ils n'avaient pas des gugusses à promener. Surtout que la plupart des chevaux de l'écurie avaient appartenus à son Créateur et qu'il en avait connu certain au stade de ventre rebondit dans le ventre de leur poulinière de mère. Alors voir cela avait tendance à le mettre de mauvaise humeur.

A vrai dire, Shika serait passé sans voir Lyse s'il n'avait pas pris un chemin qui le menait droit sur le jeune homme. Pensif, le Vampire suivit de la jument vit soudain quelque chose bougé.

Le sursaut qu'ils eurent tous deux aurait parut comique à n'importe qui. Jument et cavalier bondirent de la même façon, les talons et les sabots claquant sur le béton alors qu'ils faisaient un écart identique. Puis, deux paires d'yeux surpris se posèrent sur le responsable de ce sursaut. La jument renâcla et Shika se renfrogna, tendant le bras d'un geste vif pour rattraper la rêne et ainsi éviter que Liane en profite pour aller caracoler ailleurs.

Le visage jusque là calme et détendu se ferma et le palefrenier soupira intérieurement alors que ses sens l'avertissait que celui qui venait de le surprendre était un Humain. Donc un Client. Maudit soit-il s'il voulait se balader à cette heure.
Cependant, comme c'était un client, il fallait donc être un minimum poli - peine qu'il ne se donnait pas pour les Vampires de Maldaurore.

'Soir.

Le ton était froid et Shika gardait les yeux posés partout sauf sur le visage du nouveau venu.

Vous désirez ? Les écuries sont fermées à partir de onze heures du soir. Or, il est... - il leva brièvement le regard vers l'horloge qui surmontait le toit élégant des écuries - dix heures trente. Par conséquent, je suis à votre service.

Les yeux noirs se levèrent brièvement pour un coup d'œil farouche. Le ton glacial n'était pas avenant mais les tournures de phrases un peu vieillottes - empruntées à son cher Laurent, d'ailleurs - restaient d'une politesse affable, clairement démentie par le visage farouchement fermé.

Liane poussa un gros soupir au bout des rênes et Shika maudit cet imprévu dans sa nuit. Il avait encore du travail et espérait que l'imprévu en question n'allait pas le retarder.

Pour la millième fois de son existence, le Vampire maudit le fait d'être de taille trop moyenne et de se voir dépassé par ce gêneur, grain de sable dans sa tranquille routine. Il aurait aimé paraître plus impressionnant pour dissuader cet Humain de l'ennuyer.

C'était, semble-t-il, peine perdue.

Aucun des jeunes hommes regardés par Lyse au cours de sa vie n'avait présenté un tel spectacle de noblesse un peu sauvage telle que montrait ce garçon ce soir-là, son corps svelte épousant harmonieusement les muscles du cheval. La douceur verticale, la force horizontale. Seul un amateur de la beauté masculine comme notre client fidèle pouvait être touché par une vue pareille.

La curiosité l'immobilisait tandis que l'autre ne lui prêtait absolument pas d'attention, occupé à marmonner des paroles flatteuses à la jument comme s'il s'était agi d'un très proche ami, presque un amant... À cette pensée, Lyse sourit un peu.
Il s'étonnait de l'apparence si efféminée de l'individu. Peut-être s'était-il trompé, et qu'il avait devant lui une vraie..? Non, impossible, qu'aurait fait une femme en ces lieux de débauche homosexuelle ? Certaines auraient été ravies d'y rôder, mais les gardes refoulaient ceux qui ne possédaient pas le bon profil de clients potentiels.

En esquissant un pas, Lyse fit sursauter l'animal comme son cavalier et lâcha un rire amusé. Il était si effrayant que cela ? Bon d'accord, ses cheveux semblaient quelque peu en bataille à cause du voyage, ses yeux gonflés de cernes, la sueur luisait à ses tempes, et ses bras nus portaients les traces rouges da la pression de son gros sac. Il aurait bien besoin d'aller prendre un bain et d'aller se coucher ! Mais Lyse avait une véritable âme de client. Il n'aimait pas passer une heure à Maldaurore sans se trouver en agréable compagnie. Aussi il appréciait découvrir de nouveaux visages. Et celui-ci lui paraissait totalement inconnu, donc totalement intéressant...

Essayant apparement de reprendre contenance après sa surprise, le jeune homme s'adressa à lui dans un ton froid et plutôt sec. Ses paroles polies contrastaient avec son expression hostile. Etait-il gêné d'avoir été dérangé ainsi ? Avait-il seulement le droit d'être ici ? Oui, puisqu'il évoquait un "service". Un hôte qui s'occupe des Ecuries... comment appelait-on cela, déjà ? Lyse ne s'en souvenait plus.

Il se contenta de s'approcher du jeune homme en souriant de sa façon si rayonnante, si aimable, qui avait l'habitude de s'amener rapidement la sympathie d'autrui.

- Bonsoir, je m'excuse de te déranger... Je venais admirer ces superbes locaux... C'est toi qui les entretiens si bien ?

Sa voix se faisait enjôleuse, car même en tant que client, Lyse souhaitait plaire. Il payait pour obtenir plus, mais il appréciait avant tout ces échanges de charmes si courants en ces lieux paradisiaques.

Il se trouvait maintenant à quelques pas du jeune homme et put découvrir davantage de détails dans sa physionomie. Celui-ci n'appartenait pas aux beautés éblouissantes, celles de feu comme Faye par exemple, mais il dégageait une séduction raffinée. Lyse avait l'impression de tomber face à une nouvelle espèce de fleur rare, et rien ne pouvait l'émoustiller plus.

Un hôte ! Un hôte s'occupant des écuries ! Si jamais Shika apprenait ce que venait de penser Lyse, il s'emploierait certainement à lui démontrer par a plus b que jamais, jamais, jamais il ne serait l'un de ces écervelés qui passaient leur temps à s'envoyer en l'air contre de l'argent. Déjà qu'il haïssait viscéralement la simple idée d'être touché intimement, alors contre de l'argent - et du sang - cela ressemblait trop à de la prostitution pure et simple.

Il était un palefrenier et pas un hôte comme il devait parfois le rappeler aux téméraires qui voulaient se frotter de temps à autre au vampire aux allures de jeune homme.
Heureusement, ça n'était pas très fréquent. La discrétion t le mauvais caractère de Shika l'aidait à passer souvent inaperçu, surtout lorsqu'on le comparait aux radieuses beautés lunaires qui servaient les clients de l'endroit. Lui était trop fade pour faire un bon hôte. Ce qui ne le dérangeait pas.

Le sourire de Lyse l'étonna un peu. Il n'avait pas l'habitude qu'on l'aborde ainsi, avec un sourire aussi engageant après des paroles qui l'étaient si peu. Cillant, un peu perturbé par un air aussi radieux, Shika leva un œil scrutateur sur cet homme qui devait avoir quelques années de plus que lui - ou du moins que lui paraissait avoir. Ouais. Un genre de tombeur. Exactement ce qu'il n'aimait pas, mais alors pas du tout.

Et cette manière de le tutoyer alors qu'ils ne se connaissaient pas le moins du monde... Genre ils avaient gardé les chevaux ensemble...

Par bien des aspects, Shika pouvait faire office de vieux réac. Mais il tenait à la politesse et la première était de ne pas tutoyer un inconnu. Ou bien de le déranger à dix heures et demi du soir lorsqu'il avait encore Lunel à panser et trois boxes à nettoyer. Donc pas le temps de faire la conversation à un tutoyeur.
Mais c'était un client. Donc Shika fut dans l'obligation de répondre, même si son ton frôlait le zéro absolu et que la noirceur de son regard quelque peu hostile rivalisait avec l'attrayante des abysses.

Moi et d'autres. Moi entre autres. En l'occurrence c'est moi plus que les autres.

Visiblement, le jeune homme n'avait pas envie de discuter. Cependant, il ne pouvait faire autrement, puisque l'humain face à lui était un client et donc, quelqu'un à ne pas mécontenter ou alors le moins possible.
Il y avait donc un certain sens du commerce caché en Shika. Shika qui décida qu'il avait assez poireauté sans rien faire et qui entreprit de défaire ses gants blancs pour dévoiler des mains blanches et fines. Des mains d'aristocrate et pas celles d'un jeune homme passant son temps à trimballer du fumier et à maîtriser six cent kilos de muscles.

Jetant un regard agacé à Lyse, le vampire ne se soucia pas d'entamer la discussion - puisqu'il avait au contraire hâte que cette ébauche de communication se termine - et entreprit de dépasser son interlocuteur, Liane le suivant avec docilité, sa belle tête intelligente se tournant un instant vers le bipède qu'elle dédaigna pour suivre son cavalier. Sans se soucier de voir s'il était suivit, Shika entreprit de ramener sa monture à son box pour la desseller. Priorité à cette pauvre jument qui méritait d'être bouchonnée soigneusement et récompensée pour son travail au lieu d'être laissée au bout de son bras à cause d'un énergumène sortit d'il ne savait où.

Il espérait vraiment que cette fois, on le laisserait tranquille et que son attitude revêche aurait dégoûté ce jeune homme.

Sans se soucier plus longtemps de cela, Shika entreprit de s’occuper de sa jument, passant sur la robe frémissante une poignée de paille, frottant vigoureusement pour la sécher, ses gestes semblant ceux d’un amant attentif plus qu’un simple palefrenier. Et il recommença à roucouler des douceurs au creux de cette oreille attentive tournée vers lui alors que ses mains passaient comme des caresses sur les flancs humides de sueur. Il avait déjà oublié Lyse. Et sans doute que cela durerait jusqu’à ce que le nouveau venu brise de nouveau sa tranquille solitude.

Ce ton impeccablement glacé, cette allure si raide, cette ténébreuse expression obscurément sombre...

Une pierre tombale songea Lyse.

En un an et demi passé depuis la découverte de Maldaurore, jamais Lyse n'avait reçu de vent aussi net. Il essuyait rarement des affronts d'indifférence, étant suffisament pourvu d'argent et de charme pour employer n'importe quel hôte, et même parfois des hommes de ménage dont il appréciait la plastique... Evidemment, il ignorait que Faye prenait soin (à sa grande peine) de le protéger de toute attaque, et il confondait avec de la jalousie maladive cette précaution à lui éviter de fréquenter les hôtes au risque de se faire mordre.

En un an et demi, jamais Lyse n'avait subi un choc pareil que celui d'être repoussé. Le dos tourné du cavalier qui tirait le cheval vers les box le laissa longuement pensif. Il évaluait l'ampleur du rejet dont il venait de faire l'objet. Ainsi, ce garçon ne devat certainement pas être un hôte... Aucun hôte, même fatigué, ne laisserait passer l'occasion de tenir compagnie à Lyse Oriann, le fidèle client si séduisant !

La fuite si prompte du jeune homme coupa court à la discussion, empêchant Lyse de lui demander son nom comme il en avait l'intention. Avoir le nom d'un joli garçon dès les premiers mots, telle était sa devise ! Et puis il aurait bien fait une remarque flatteuse sur les belles mains fines de son interlocuteur. Lyse se demandait automatiquement de quoi pourraient bien être capables des doigts si délicats et agiles... Mais devant la disparition de l'intéressé, il ne put s'en enquérir directement.

Lyse haussa les sourcils de surprise et analysa la situation. Il avait envie de compagnie. En tant que client, il avait le droit de circuler où bon lui semblait. Et maintenant, il lui paraissait bon de suivre ce jeune inconnu gracile au caractère de cochon.

Alors il le rejoignit, un sourire amusé flottant sur ses lèvres. Il posa son sac par terre en se moquant bien de le couvrir de paille et s'accouda nonchalament à la barrière du box où s'affairait le jeune homme.

- Ça fait longtemps que tu fais ce métier ? questionna-t-il d'un ton jovial.

Lyse ne perdait qu'exceptionnellement sa mauvaise humeur. Il ne fallait pas se contenter de quelques froideurs pour l'éloigner, bien au contraire, il aimait les défis.
En regardant l'attention avec laquelle le jeune homme caressait l'animal, il ne put que lancer :

- Tu as l'air passionné... Il faut que j'apprenne à hennir, si je veux te connaître, alors, hein ?

Rien de tel qu'une boutade pour désamorcer les bombes. Si encore ces dernières les recevaient bien...

La plupart des gens auraient été horrifiés de voir avec quelle désinvolture Shika délaissa Lyse. Beaucoup de jeunes hommes ou de plus vieux auraient été charmés par la carrure athlétique de cet homme sortit de nulle part et auraient tout fait pour prolonger le plus possible la chance incroyable d'être abordés par un tel personnage.
Mais Shika non. Il se foutait éperdument de la beauté de son interlocuteur. Et il n'aurait certainement pas supporté des allusions aux capacités de ses mains, à vrai dire. Frigide ? Un peu... Coincé ? Beaucoup.

A vrai dire, le Vampire avait déjà oublié cette interruption dans ses tâches de la nuit. Il avait une certaine facilité pour oublier les autres. De toute façon, ça n’était pas comme s’il connaissait cet homme.

L’attitude du Vampire – qui aurait fait hurler les autres suceurs de sang de Maldaurore – ne sembla pourtant pas décourager Lyse car Shika eut la surprise de le voir revenir vers lui. Alors, quoi ? Il n’avait pas été assez désagréable ? Ce jeune homme était-il un genre de masochiste pour continuer à le suivre alors même qu’il avait clairement établi son non intérêt et son dédain pour cet être bipède.
Cependant, Shika décida de continuer à jouer les indifférents et attrapa une brosse laissée sur le muret du box afin de soigneusement panser Liane qui humait l’air en direction de leur squatteur nocturne.

Un œil noir fut brièvement tourné vers Lyse qui s’installait, accoudé au muret de pierres blanches et le Vampire reprit son brossage attentif, se penchant pour passer sous le ventre rond où s’accrochait des grains de sable.

Ce fut de là que la voix de son interlocuteur lui parvint et il se redressa dans un grognement. S’il faisait cela depuis longtemps ? Hum, il ne pouvait pas dire à cet Humain que cela faisait effectivement soixante dix-huit ans qu’il côtoyait les chevaux. Mais même huit ans – sa durée d’embauche à Maldaurore était un trop gros chiffre lorsqu’on a l’air d’avoir tous justes vingt ans. Surtout que l’autre semblait être habitué des lieux, auquel cas il ne serait pas là, seul en pleine nuit. A bien y réfléchir, il sentait bien comme un effluve particulière. La marque d’un autre Vampire, sans aucun doute, mais atténuée par l’absence. Bah, il s’en moquait, il ne comptait pas s’approcher de cet Humain. C’était lui qui se faisait approcher.

Depuis toujours ; grogna-t-il finalement en désespoir de cause.

Cela voulait à la fois tout et rien dire et c’était parfait ainsi.

Puis Shika reprit son brossage de Liane qui tournait parfois la tête vers lui, reniflant son bras ou sa hanche avec une parfaite insouciance que seuls les cheveux pouvaient avoir lorsqu’ils se frottaient à ce taciturne Vampire. Il aurait mordu quiconque lui reniflant les hanches…

Encore la voix de Lyse… Décidément, il ne savait pas se taire, celui-là ? Et la blague ne lui valu qu’un haussement de sourcil depuis l’autre côté de la jument qui mâchonnait un peu de paille.
Il voulait le connaître ? Pauvre sot, songea-t-il avec amertume. Il n’était pas fréquentable. Il n’en pourrait plus au bout des deux heures ! Et puis, lui-même n’avait absolument aucune envie d’être connu par un jeune homme qui avait l’air si… Gentil… Mais tombeur.

Un soupir lourd venant de Shika répondit à la blague et il lança d’un ton polaire :

Dans ce cas j’attendrais qu’il vous pousse quatre pattes et une crinière. Puis nous en reparlerons peut-être.

Indubitablement, Shika ne fréquentait vraiment que les chevaux. Et puis, ça voulait dire quoi « avoir l’air passionné ? » Ca ne crevait donc pas les yeux qu’il adorait, vénérait et adulait ses chers chevaux ? Ces humains… Il fallait toujours qu’ils parlent pour ne rien dire !

Puis, tandis que Shika brossait soigneusement l’arrondi de la croupe de sa monture, Liane décida que cet humain accoudé au muret de SON box était agaçant. Comme nous l’avons déjà dit, c’était une mordeuse. Et elle était une bête au caractère presqu’aussi ombrageux que celui de son palefrenier.
Les oreilles remuèrent et se placèrent en arrière alors qu’elle reniflait du velours de ses naseaux le bras de cet intrépide garçon pour qui le langage équin devait être une autre langue puisqu’il ne se méfia pas de ce revirement d’oreilles.

Les dents furent soudain tendues mais, avant qu’elles puissent pincer la chair, Shika avait fait dévier le museau d’une taloche bien placée.

Non !

L’injonction claqua comme un coup de feu et la jument ronfla, battant en retraite devant l’autorité du Vampire dont les yeux noirs s’étaient fais sévères. Et son mouvement avait été effectué à une vitesse proprement surnaturelle. C’était un simple réflexe auquel il n’accorda aucune attention.
Shika était depuis trop longtemps dans le cheval pour ne pas savoir se faire respecter. Il n’ignorait pas qu’une taloche sur les naseaux bien appliquée faisait plus de bien que de mal. Au moins, la jument ne recommencerait pas avant un moment.

Ca n’était pas tant qu’il voulait protéger Lyse mais qu’un client se fasse mordre par l’un de ses chéris risquait de lui valoir des ennuis. Et il était hors de question que quelqu’un ose seulement émettre l’hypothèse d’envoyer ailleurs l’un de ses chevaux.

En attendant, le palefrenier reprit son pansage en constatant que Lyse n’était pas estropié d’un morceau de bras et qu’il pouvait donc continuer son boulot. Comme si de rien n’était.

Lyse Oriann était un entrepreneur né, et cela valait autant dans le travail que dans la vie privée. C'était plus fort que lui, dès qu'il s'intéressait à quelque chose ou à quelqu'un, il devenait de plus en plus difficile de l'en éloigner... Faye l'avait compris par certaines scènes de jalousie vien conséquentes. Car malgré son goût pour le libertinage, Lyse demeurait hostile au fait que son amant se vende à d'autres hommes que lui.

Mais pour l'instant, il ne se préoccupait pas de Faye. Il s'étonnait bien sûr de son absence, lui qui apparaissait toujours juste à son arrivée, mais ne s'en formalisait pas. Il devait être en train de se faire caresser par des mains étrangères... À cette idée, Lyse préférait attacher son attention sur ce jeune et bel inconnu, plutôt que de ruminer des pensées possessives.

Attentif aux moindres réactions du joli visage fin, l'homme ne pouvait que comprendre à quel point il gênait. Un véritable intrus, dans cette ambiance nocturne et mystérieuse ! Chacune de ses paroles semblait perturber autant le cheval que le cavalier. Mais un persévérant tel que Lyse ne renoncerait pas pour si peu. Quand il désirait quelque chose, il mettait tout en oeuvre pour l'obtenir. Et présentement, il voulait discuter avec ce charmant inconnu. Jusqu'à savoir son nom. Et plus, pourquoi pas ?

Mais l'intéressé ne paraissait pas coopératif. Un vrai animal. Il lâchait, en guise de réponse, des grognements qui faisaient sourire le client. Quelqu'un avait-il su un jour dompter cette créature sauvage ?
Chaque mot soigneusement enveloppé de glace lui donnait des frissons d'envie. Non, il ne partirait pas d'une compagnie si intriguante. Une fois qu'on a trouvé un jouet amusant, il faut en user jusqu'au bout, non ?

Il a quand même pris la peine de répondre à ma blague...

Un muet, encore, l'aurait peut-être découragé. Mais un garçon austère qui s'emploie à demeurer poli en toute circonstance... c'était trop drôle, vraiment.

Lyse usait de ses talents les plus certains et les moins adaptés à la situation présente : il souriait, parlait, insistait. Un parfait exemple de la vie : incorrigiblement tenace. Et pleine d'espoir, aussi.

Il ne pouvait se douter de la nature réelle de son interlocuteur, comme il ignorait celle de Faye, et de tous les autres. Il n'était qu'un bon vivant insouciant des lieux où il avait jeté l'ancre.

Et puis, en bon citadin, Lyse connaissait en effet très mal la vie aux côtés d'animaux, et encore moins celle des chevaux. Lorsque la jument prit son initiative, il ne se méfia pas et s'étonna d'abord de la réaction rapide et autoritaire du palefrenier.

Hein..? Je n'ai pas vu son geste...

Lyse restait stupéfait. S'était-il endormi pendant quelques secondes ? Possible, après ce long et rude voyage... Il fallait vraiment qu'il se repose.

- Eh bien, merci ! Je n'ai pas eu le temps de voir quoi que ce soit, mais je comprend que tu viens de me sauver la vie... J'ai une dette envers toi, alors.

Lyse se montrait ravi de trouver enfin un lien entre eux. Il s'écarta légèrement du box pour éviter une nouvelle attaque imprévue mais garda ses beaux yeux verts sombres intensément fixés sur le jeune homme.

- Je t'invite boire un rafraîchissement, dès que tu as fini de travailler ?

Il s'adossa à une poutre, les mains croisées derrière la nuque, un large sourire aux lèvres.

- Je t'attendrai ! s'exclama-t-il d'un ton jovial.

Sauver la vie... N'exagérons rien.

La voix glacées de Shika s'éleva juste après l'étrange affirmation du client. C'était, en effet, en faire un peu trop. Et le vampire, en bon habitué du milieu équin n'ignorait pas que l'humain aurait certainement eut très mal. Mais certainement pas au point d'en mourir. Ce qui aurait été dangereux, cependant, c'était que du sang se répande. Cela risquait de lui faire perdre là tête et il aurait volontiers lapé une plaie, comme tout bon Vampire. Il était persuadé que c'était une bourde à ne pas faire. Et il n'avait aucune envie de se retrouver contre cet inconnu agaçant, ne serais-ce que pour se délecter d'un peu de sang.

Vous n'auriez eut qu'une marque de dents.

Pragmatique et aucunement réchauffé par l'enthousiaste de Lyse, Shika n'en semblait que plus froid, à la limite ténue entre la politesse et l'ironie.
S'entendre tutoyer par un gamin qui avait soixante ans de moins que lui était déjà assez pénible sans qu'il laisse l'intrus se persuader d'un lien entre eux.
Ne serais-ce qu'un lien de retour d'ascenseur.

Totalement indifférent à la paire d'yeux d'un beau vert sombre, Shika continua de brosser sa jument, achevant son pansage en règle avec un soin amoureux. Chaque geste envers l'animal se transformant en caresse tendre. Mais, paradoxalement, si chaque regard donné à Liane était plein d'une tendresse posée, chaque coup d'œil vers l'horripilant humain était quelque peu agacé.

Faire craquer Shika était une tâche d'une ampleur telle que peu de gens parvenaient à cette finalité. Le Vampire était réputé pour sa frigidité. Et il était bien l'un des rares de Maldaurore, voir le seul, pour ce qu'il en savait. Il ne fallait pas être très net pour vivre dans un temple de débauche et ne pas supporter le moindre contact.

La question de Lyse prit le Vampire de court. Alors qu'il espérait que son attitude allait finir par chasser cet accroc dans sa nuit, c'était presque le contraire. Cela commençait à légèrement décourager le solitaire qu'il était.
Boire un rafraîchissement ? Il n'en avait aucune envie. Maintenant ou plus tard ne faisait d'ailleurs pas une grande différence. Malheureusement, Lyse était un client des lieux. Il ne voulait pas avoir des ennuis parce qu'il aurait écouté son envie en envoyant méchamment promené l'humain. C'était sur que cela lui retomberait dessus. Surtout qu'il sentait autours de Lyse la présence spirituelle d'un autre suceur de sang.

S'il se fichait éperdument de se mettre les gens à dos, il n'avait pas envie que cela rejaillisse sur sa proximité avec ses chevaux.

Et, alors que le jeune homme assurait qu'il l'attendrait, Shika lança encore, d'un ton frisant le zéro absolu :

Vous attendrez longtemps. J'ai deux boxes à faire, encore.

Les yeux d'une noirceur abyssale - sans doute la partie la plus séduisante du Vampire - lancèrent un éclat acéré en direction de Lyse. Dans cette noirceur froide, il n'y avait aucun intérêt. Juste une sorte d'étonnement à voir cet humain supporter aussi longtemps ses remarques cinglantes et son mauvais caractère. Shika avait cependant une certaine naïveté, malgré son âge et son passé. Aussi ne réalisait-il pas vraiment que Lyse comptait ni plus ni moins que le draguer effrontément. Shika ne se considérait pas comme baisable. Et à ce titre, il ne voyait pas vraiment comme telles les tentatives de séduction éhontées de ce jeune homme têtu.

Malgré tout, il n'avait pas dit non...

Et il posa un baiser sur une paire de naseaux veloutés qui vinrent souffler sur sa joue. Avec une tendresse qu’il n’aurait certainement pas pour un bipède. Les caresses posées sur la jument à ses côtés étaient légères comme des papillons et auraient été jalousées par un bon nombre. Après tout, s’il n’était pas magnifique, Shika avait indéniablement un charme sauvage et froid qui donnait envie à quelques personnes de briser la glace qui rigidifiait les manières de ce drôle de Vampire au comportement irascible.
Malgré tout, la persévérance de Lyse intriguait le palefrenier. C’était pour cette raison, sûrement, qu’il n’avait toujours pas contré la proposition d’une négation franche.

En partie parce qu’il n’osait pas non plus trop tirer le diable par la queue en virant ce client têtu des écuries d’un bon coup de pied au derrière.

Faye qui n'arrivait toujours pas, et ce palefrenier qui intriguait fortement Lyse... Il en oubliait même sa fatigue. Durant tout le voyage, il n'avait songé qu'à son hôte attitré, comme souvet d'ailleurs. Ses pensées convergeaient habituellement vers cette personne avec qui il se trouvait sur la "même longueur d'ondes", disait-on. Evidemment, ce n'était pas facile d'être l'amant de quelqu'un qui vend son corps et qui de surcroît est affublé d'un sale gosse grincheux qui joue les chiens de garde. Mais enfin, Lyse aimait revenir ici pour retrouver Faye.

Et pourtant, ce soir-là, devant l'évidence de l'absence de ce dernier, il ne se sentait pas si seul qu'on aurait pu le croire. Il se tenait à quelques mètres de ce jeune homme et ne souhaitait pas s'en aller. Pas tout de suite. Il espérait profiter un peu plus de cette présence inconnue, malgré son hostilité à son égard.

"Une marque de dents"..? Je ne sais pas pourquoi, mais ce qu'il vient de dire me fait froid dans le dos... Bizarre...

Il suivait des yeux les gestes affectueux et gracieux effectués envers la jument. Le contraste avec le ton sec et le regard distant procurait des frissons à l'homme. Il continuait de sourire, davantage persuadé que ce jeu l'intéressait de plus en plus.
Car en effet, Lyse connaissait les manoeuvres de la séduction ; beaucoup d'hôtes parvenaient à mettre son corps en ébullition en ondulant devant lui. Mais avec les mois, il devenait difficile. Comme sous l'emprise d'une drogue, il en réclamait encore, et du meilleur spectacle. Les hôtes devaient imaginer des mises en scène originales pour le contenter.

Et là, ce simple garçon aux allures sauvages l'attirait. Parce-qu'il se différençiait tant des autres. Il ressemblait à un îlot désert (pour ne pas dire "vierge") au milieu de l'océan agité que constituait Maldaurore.

La joute qui se déroulait ici se composait de silences, de coups d'oeils et de répliques ciselées. Chaleur face à froideur. Vie face à mort, même si Lyse l'ignorait.

Il n'a pas refusé.

Le sourire de Lyse rayonna de plus belle. L'intéressé n'avait fait que détourner le problème. Il insinuait au client de s'en aller. Mais celui-ci fit semblant de ne pas comprendre. Tant qu'on ne lui dirait pas clairement qu'on ne voulait pas de lui, il essayerait. Et même si on le lui disait... Quelqu'un comme lui avait bien trop confiance pour se laisser démonter par un sale caractère.

Lyse demeura donc là, à ne pas perdre un détail de la vision peu banale de tendresse entre l'animal et son maître.

- Que préfères-tu, comme boisson ? demanda-t-il.

Il payerait n'importe quoi pour voir comment buvait un garçon pareil. Un simple spectacle comme celui-ci l'intriguait.

Lyse se tenait sagement à distance, conscient qu'il devait agir comme s'il voulait apprivoiser un animal sauvage. Surtout, ne pas effrayer. Montrer du respect. Manifester son intérêt, mais en excluant tout contact. Et puis, ensuite,
peut-être, réduire la distance... Mais il avait le temps.

- Si tu as besoin d'aide... Enfin, je suis bête, je serais plus un boulet qu'autre chose pour toi, et puis... Tu aimes ça, donc j'attend que tu finisse.

Bras croisés, il maintenant son regard profond sur le corps frêle, toujours en souriant. L'étincelle de la vie.

N'allait-il donc pas le lâcher un seul instant, cet énergumène humain débarqué de nulle part ? Shika considéra le jeune homme d'un œil noir et hostile. Cette présence chaleureuse commençait à lui taper sur les nerfs... Certes, il y avait beaucoup de choses qui n'étaient pas tolérées par les nerfs de Shika. Tout ce qui marchait sur deux jambes, ou à peu près tous. Il avait en son temps aimé profondément Laurent, son créateur et celui-ci avait bien été le seul à pouvoir supporter ce qu'il était devenu après cette fameuse nuit où il avait tué...

IL ne sut pourquoi mais la présence joyeuse de Lyse lui fit mal, un instant. Pace qu'il aurait pu lui aussi finir son adolescence dans la joie et devenir peu à peu un jeune homme heureux. Mais, cette rupture suivie de ce moment affreux où il avait sentit sa monture tomber, tomber, l'entraînant avec lui dans l'eau noire et glaciale...

Le regard du Vampire se voila un instant et il glissa ses doigts dans l'épaisseur moite d'une crinière. Les crins rêches filèrent contre sa paume et il se colla à la chaude encolure encore un peu humide tandis que Liane soufflait doucement. Les naseaux de velours frôlèrent sa hanche, cachée par le pantalon d'équitation.

L'œil du Vampire se fit plus froid. Se fermant pour bloquer la douleur du souvenir.
Ce qu'il aimait boire ? Mais que buvaient les humains de maintenant ? Les humains de son âge apparent ? Certainement pas du sang.

Lui même ne buvait jamais et ne fréquentait pas le bar de Maldaurore. Il n'était là que pour les chevaux. Le reste du temps... Quel reste du temps ?
Shika passait sa vie à soigner les équidés de Maldaurore. Et à dormir ou à chasser de temps à autre. C'était tout. Pas de soirée. Pas d'alcool. Pas de fête. Et surtout, surtout pas de baise !

Je ne bois pas d'alcool. Vous n'allez pas m'inviter à boire un thé.

Pourvu que Lyse finisse par renoncer, songea Shika, dans une ébauche d'exaspération croissante.
Il espérait que son tempérament de rabat-joie notoire finirait par le débarrasser de ce jeune homme certes beau - encore qu'il ne regardait pas vraiment Lyse en se disant qu'il était séduisant - mais franchement collant. Malgré tout, la naïveté du Vampire l'empêchait de penser que l'humain cherchait ni plus ni moins que le draguer. Et avant qu'il s'en rende compte, il se passerait un sacré temps ! Sauf si Lyse l'embrassait directement... Avant de se prendre la main de Shika en pleine figure !

La réplique de Lyse tira un sourire parfaitement narquois au Vampire, qui dévoila une dentition égale et deux canines à peines plus pointues que la normale.

C'est bien que vous vous en rendiez compte.

La politesse inaliénable de Shika couplé à ces paroles acerbes et à son sourire carnassier faisait en général battre en retraite les plus téméraires des personnes. Et Shika espérait de tout cœur que cela recommence. D'ailleurs, il sortit bientôt de la boxe de sa monture, attrapant d'une main la selle qu'il cala sur son bras et le filet de l'autre avant de se diriger sans un regard en arrière vers la sellerie, manipulant la lourde selle comme si elle ne pesait rien. Finalement, Shika réapparut après quelques instants avec une brouette et une fourche qu'il poussa dans les allées de boxes, quelques chevaux le regardant placidement passer tout en mâchant tranquillement des restes de leur ration d'avoine.

Le regard noir et hostile se posa sur Lyse et Shika soupira lourdement en passant à la hauteur du client avant de détourner le regard avec un dédain royal, sa fine silhouette s'arrêtant bientôt près d'un autre boxe, vide celui-ci.

Les bras délicat et d'une finesse un peu féminine commencèrent à s'activer aisément alors qu'il recueillait le fumier lourd qu'il jetait en un rythme régulier dans la brouette. Et avec une telle aisance que cela semblait être d'une facilité extrême... Alors que chaque pelleté était lourde de crottin et de paille souillée.

Intérieurement, Shika songeait que Lyse devait être partit... Il l'espérait du moins de tout cœur car il savait qu'il ne pourrait refuser une invitation directe, toujours par peur de perdre sa si précieuse place. Il ne pouvait tolérer l'idée même d'être séparé de ses chéris.

Le boxe fut fait en une dizaine de minutes et bientôt, la paille fraîche s'étendait joliment d'un mur à l'autre.
Puis Shika passa à un autre, mortifié. Car Lyse... Etait toujours là.

Et il l'était encore lorsqu'il termina le second boxe. Alors, il fit mine de ranger des choses déjà rangées, évitant de regarder le client encombrant, avec une mauvaise foi évidente. Il ne voulait pas être invité.

[J'adoooooore Shika... C'est (malheureusement) mon genre de mec... ^_^']

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Pas d'alcool ? Bien qu'étonné par ce fait, Lyse ne broncha pas. Il comprenait que chaque membre de ce gigantesque harem masculin possédait son caractère propre, ses goûts particuliers...
Pas d'alcool ? Pourquoi pas ! Au moins, ce garçon n'aurait pas d'haleine piquante. D'ailleurs, l'humain admirait depuis toujours les détails d'hygiène rigoureuse qui s'opérait ici : aucune bouche d'hôte ne trahissait la composition de leur précédent repas, aucune feuille de salade coincée entre leurs dents, ni aucune odeur d'ail, par exemple, ou autre intrus désagréable. À croire que ces hommes ne mangeaient jamais !

Pas d'alcool ? C'est tout ce qu'il avait trouvé comme argument anti-Lyse ? Il en fallait bien plus que cela pour démonter ce dernier !

Il n'a pas l'habitude de repousser franchement les gens... Bah, c'est un hôte, après tout...

Silencieux, Lyse ne lâchait pas l'intéressé de son regard aiguisé de prédateur de caleçons.

Quel genre d'hôte est-ce donc..? Peut-être qu'ils exploitent sa nature hostile pour éveiller les instincts combattifs des clients, attirer leur attention... Eh bien... Ça marche du tonnerre !

Lyse rit intérieurement. Il n'avait décidément pas envie de partir. Plus le jeune homme lui envoyait des soupirs exaspérés et des oeillades orageuses, plus sa volonté se rafermissait. Du plaisir de passer le temps, il en était désormais arrivé à rester par défi. Et par curiosité.

Evidemment, il évalua la possibilité d'une attaque par surprise. Etant un client, et de plus un homme robuste, que pourrait donc faire un frêle garçon censé être un hôte ? Lyse s'imaginait déjà l'attraper et le plaquer contre le mur. Mais miser sur sa propre force ne l'amusait pas vraiment. Il ne voyait pas où résidait l'intérêt dans le fait de plier les gens à ses souhaits. Le meilleur ne consistait-il pas à les amener doucement, avec tact et ruse, là où l'on aimerait les conduire..?

En Lyse, l'homme d'affaires calculateur eut raison du coureur invétéré. Il resta en place, à distance du corps gracile dont il ne perdait pas un geste, et rangainant ses désirs comme des couteaux à double tranchant qui pourraient le mettre en mauvaise situation. Il ne fallait pas qu'il perde son crédit auprès de l'établissement. Et puis, s'il agissait sans scrupules, qu'en penserait Faye..?

La réplique insolente du palefrenier ne toucha pas Lyse, tout surprit comme il le fut de constater une faille.

- Ton sourire... lança-t-il d'un air réjoui, Un rayon de soleil sur un lac gelé...

Son lyrisme venait incorrigiblement avec son attitude toujours enjôleuse. Lyse de s'en rendait pas compte, mais il agissait parfois comme un hôte de base...

Bon, il avait tout de même affaire à un être humain, capable de manifester de la joie, même sous la forme de cynisme. Cela ne dérangeait pas Lyse, qu'un joli garçon s'amuse à ses dépens ! C'était déjà un début, la preuve qu'il lui était utile.

Le client demeura, presque dans la même position, si bien qu'il faillit éclater de rire lorsque la tête du garçon se pencha pour voir s'il était toujours là.

Trop mignon... Il vient de faire la mine d'un gosse boudeur qui refuse d'aller à l'école...

Lyse attendit encore patiemment que l'individu finisse le second boxe, mais il commença à sentir une légère crampe au dos à force de rester statique contre le mur. Il était temps de changer de chapitre.

Apparement désemparé quant à la solution pour s'enfuir, l'hôte rangeait des objets déjà rangés, ce qui fit sourire Lyse davantage. Il manquait vraiment de tactique, ce petit.

Alors, il se décolla du mur et s'avança vers lui, l'air toujours aussi enthousiate.

- Bon ! Le thé nous attend !

Il esquissa un geste mécanique pour lui poser la main sur l'épaule, mais finalement s'interrompit et la baissa pour ramasser son sac de voyage. Puis il marcha nonchalament vers la sortie.

- Est-ce que tu voudras des gâteaux, avec ?

Il était persuadé que les asociaux étaient des gens friands de sucreries. Comme les chevaux, d'ailleurs.

(Ma pauvre alors.... XD Bouh, ça faisait longtemps que je n’avais pas posté ._.)


Encore une fois, Shika n'était PAS un hôte ! Cette simple pensée devait être bannie du vocabulaire de Lyse. Notre associable notoire n'était pas du tout du genre à coucher, même avec un amant fixe alors imaginez avec quelqu'un qu'il ne connaîtrait pas ! Les poules auraient des dents si le Vampire était un coureur de pantalons !

Lyse commençait à sérieusement l'ennuyer. Mais aussi à l'intriguer. Quel genre d'homme étais-ce donc pour se montrer aussi acharner à rester avec lui ce soir ? N'avait-il donc pas mieux à faire ? Et n'y avait-il aucun hôte dans le sillage de ce beau brun pour qu'il reste ainsi avec un palefrenier désœuvré ?

Shika garda cependant la bouche close, farfouillant dans les brosses et autres ustensiles comme pour ranger l'ordre établi. Il était un garçon ordonné et soigneux, voir maniaque sur certaines choses alors rien n'était franchement en désordre.

Lyse dû le remarquer car le Vampire le vit bientôt revenir à la charge, faisant soupirer le pauvre palefrenier dont la patience s'usait lentement mais que la hiérarchie condamnait au silence.

Mais c'était surnaturel, d'être aussi collant ! Shika vit avec une pointe d'effrois une main se lever vers lui comme pour se poser sur une partie quelconque de son corps et il se raidit aussitôt, rentrant machinalement la tête dans les épaules comme un enfant qui craint un coup. Mais Lyse changea d'avis et le Vampire pu respirer librement. Son cœur battait la chamade et il lança à son compagnon de fortune un coup d'œil courroucé avant de s'éloigner de quelques pas, sauvage jusqu'au bout.

Vous ne me demandez pas mon avis... grogna le Vampire avec humeur.

Mais il emboîta le pas du jeune homme, se déplaçant avec une raideur méfiante, légèrement en retrait. Il avait horreur de se mêler aux gens et il espérait que le bar serait vide. C'était peine perdu pour un lieu comme Maldaurore. Il avait également honte de se faire ainsi inviter et d'être vu dans un tel lieu. Il était cent fois moins beau que la plupart des Vampires - même s'il avait du charme - et les hôtes de l'endroit le lui faisaient parfois sentir dans leur attitude.
L'adolescent blessé caché dans ce corps trop jeune pour son âge ne se laissait pas oublier et il se souvenait avec vivacité honteuse d'une époque où il était persécuté par les autres. Tous plus forts, plus beaux, plus grands. Et lui, le petit pédé...

Marchant légèrement derrière Lyse, Shika murmura en réponse à la question, grognant avec une mauvaise humeur de plus en plus évidente alors qu'ils s'éloignaient de ses chevaux adorés. Un hennissement salua d'ailleurs son passage depuis un box et il tourna la tête dans cette direction, une pointe dans le cœur. Il voulait revenir auprès d'eux. Il ne voulait pas se souvenir. Il ne voulait pas se montrer.

Je n'ai pas faim, merci bien.

Le regard sombre ourlé de cils de biche envoyait quelques éclairs sans grande conséquence, puisque c'était informulé et que les crocs pourtant de Shika étaient inutilisés contre qui que ce soit - sauf en cas de faim trop prononcée.

Il ne haïssait pas Lyse au point de le mordre - surtout vu le parfum de Vampire qu'il y avait sur lui ! - d'ailleurs il ne haïssait pas vraiment ce jeune homme. Il ne l'aimait pas car il ne le connaissait pas. Mais... Ne venait-il pas de l'inviter, lui, parmi tous les hôtes de Maldaurore ?
Même s'il ne pouvait s'empêcher de penser que c'était justement étrange, voir louche, et que Lyse voulait surement se moquer de lui, il gardait au fond de lui un certain plaisir à être regardé par un autre homme. Et un homme aussi séduisant que le PDG. Ca n'était pas une chose qui lui arrivait tous les jours. Au fond, peut-être qu'il espérait simplement qu'on ne voulait pas encore une fois se moquer de lui. Et lui faire du mal.

Ironique peur pour un être immortel...